Lettre ouverte - Préservons la musique et ses bois essentiels
Le 15 octobre 2025 - Dans une tribune parue dans « Le Monde » un collectif international de musiciens et de chefs d’orchestre alerte sur les risques pour la vie musicale des propositions sur des bois essentiels aux instruments discutées à la prochaine CoP de la CITES du 24 novembre au 6 décembre tout en rappelant son engagement pour la protection des forêts et de la biodiversité.
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Préservons la musique et ses bois essentiels - le 20/10/2025
Nous musicien.es, ensembles, orchestres et personnalités du secteur de la Culture du monde entier, lançons un appel aux États membres de la CITES (Convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction).
Deux essences de bois sont au cœur de notre activité et de notre expression artistique : le pernambouc (Paubrasilia echinata), bois unique pour la réalisation d’archets professionnels modernes et la grenadille (Dalbergia melanoxylon), indispensable à la fabrication des instruments à vent (clarinettes, hautbois, flûtes, cornemuses).
Ces deux espèces protégées, déjà inscrites à la CITES, sont indispensables à la facture instrumentale et ne possèdent à ce jour aucun substitut capable de nous offrir les mêmes qualités sonores et techniques.
Les risques d’un transfert du pernambouc à l’Annexe I de la CITES
Le pernambouc, une essence endémique du Brésil, suscite une vive inquiétude parmi les professionnels de la musique. Cette préoccupation fait suite à la demande du Brésil de son transfert en Annexe I de la CITES. Si elle était adoptée, cette mesure entraînerait une interdiction de son utilisation et de sa circulation, sauf dérogation. De plus, le passage en Annexe I mettrait l'espèce encore plus en danger en rendant caduques tous les efforts de conservation et les programmes de replantation entrepris avec les communautés locales brésiliennes.
A l’issue d’un transfert à l’Annexe I, les autorités en charge se retrouveraient face à une explosion ingérable du nombre de demandes de permis dérogatoires.
L’intégration de cette réglementation dans le droit européen entraînerait des contraintes encore accentuées pour l’ensemble des utilisateurs. Ainsi, le seul fait de posséder, faire entretenir ou même de se déplacer avec un archet en pernambouc pourrait être conditionné à la délivrance d’un certificat CITES, comme cela est le cas pour d’autres matières issues d’espèces protégées inscrites à l’Annexe I de la convention de Washington.
Or des centaines de milliers d’archets en pernambouc, fabriqués depuis le XVIIIème siècle, sont actuellement utilisés par les musiciens professionnels qu’ils soient violonistes, altistes, violoncellistes ou contrebassistes.
Pour les formations de musique classique, notamment les orchestres symphoniques et les ensembles de cordes, la libre circulation en tournée pourrait devenir quasi impossible ou se faire avec un matériel de moindre qualité, compromettant ainsi grandement la justesse et la finesse de nos interprétations.
Coupés définitivement de l’accès à leur matière première à ce jour irremplaçable, car mis dans l’impossibilité de reconstituer leurs stocks, les archetiers encore existants, héritiers de savoir-faire uniques au monde pourraient disparaître définitivement d’ici quelques années.
Tout cela à cause de démarches administratives ingérables sans aucun bénéfice pour la conservation du pernambouc et de son habitat.
Les dangers d’un accès de plus en plus limité à la ressource pour le bois de grenadille
Le réapprovisionnement des entreprises en grenadille est entravé par une double contrainte : les conditions d'importation strictes de l'Union européenne et les difficultés d'exportation des pays producteurs, en particulier le Mozambique, dont le quota d'exportation autorisé a déjà été revu à la baisse, et qui pourrait se retrouver empêché complètement d'exporter ce bois indispensable à la facture instrumentale.
Nos manufactures d’instruments à vents, garantes de savoir-faire centenaires, sont d’ores et déjà menacées, faute d’approvisionnement causé par la surconsommation de bois par des secteurs sans lien avec la musique.
Un secteur responsable
Nous, musiciens, tout comme les facteurs d’instruments, sommes bien conscients des enjeux environnementaux majeurs auxquels notre société doit faire face et de l’urgence d’y apporter des solutions. Nous avons également la conviction que la culture au sens large doit rester un sujet essentiel et que ces deux priorités ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.
La facture instrumentale est un secteur vertueux, qui utilise des quantités infimes de bois pour fabriquer des objets culturels à haute valeur ajoutée. Et ces instruments, comme les archets par exemple, peuvent durer des décennies voire des siècles, ce qui en fait des objets particulièrement durables.
De plus, les professionnels de la facture instrumentale sont engagés depuis plusieurs décennies dans la conservation des espèces de pernambouc et de grenadille, notamment à travers diverses actions de replantation. Or, pour le pernambouc, un passage en Annexe I interdirait irrémédiablement tout accès aux arbres qui ont été plantés grâce aux partenariats mis en place avec le soutien du secteur musical - regroupant archetiers, luthiers et musiciens - depuis 25 ans au Brésil par exemple.
Nous croyons fermement qu’il est possible d’allier utilisation responsable des ressources, protection de la biodiversité et maintien d’une vie musicale riche et libre.
Notre appel aux pouvoirs publics :
Nous appelons aujourd’hui les ministères en charge de la culture, de l’environnement, de l’artisanat, des relations internationales de l’ensemble des pays membres de la CITES à travailler de concert. Nous demandons :
- Le rejet de la proposition du Brésil visant à interdire tout commerce de pernambouc et d’objets en contenant. Le maintien du pernambouc à l'Annexe II de la CITES avec annotation #10, ainsi que la poursuite des travaux engagés conformément aux recommandations de la dernière CoP de la CITES fin 2022.
- L’instauration d’un quota spécifique réservé à la facture instrumentale pour la grenadille, appliqué par les deux principaux pays exportateurs, Mozambique et Tanzanie.
- Le renforcement de la coopération internationale entre les pays producteurs, les professionnels de la facture instrumentale et les autorités CITES pour la consolidation d’un dialogue durable entre les parties afin d’assurer la préservation conjointe des espèces et de la pratique musicale.
Ces demandes pourraient prendre forme de façon très concrète grâce à la mise en place de filières de commerce équitable à haute traçabilité pour les bois utilisés par l’ensemble du secteur de la facture instrumentale.
L’ASSOCIATION IPCI FRANCE EUROPE - 3 rue Truffaut 75017 Paris - Numéro d’association : W751269309